Energy efficiency, energie effizienz, eficiencia energética… L’efficacité énergétique industrielle se conjugue désormais dans toutes les langues. Où se situe la France par rapport à ses voisins européens ? De quels exemples étrangers s'inspirer ? Avocate-associée du cabinet De Pardieu Brocas Maffei et ex-Directrice Générale de la Commission de la régulation de l'énergie, Christine Le Bihan-Graf dresse un panorama européen des politiques d’efficacité énergétique industrielle.
Comment jugez-vous les efforts français en matière d’efficacité énergétique industrielle ?
Sur le plan juridique, l’objectif de progression en matière d’efficacité énergétique a été réitéré, notamment par la loi de 2015 sur la transition énergétique qui prévoit des objectifs importants, comme la réduction de moitié de la consommation d’énergie finale d’ici 2050 ou la diminution de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 1990. Au plan européen, le nouveau paquet énergie actuellement en discussion prévoit une amélioration de l’efficacité énergétique d’au moins 27 % d’ici 2030. Il s’agit là d’un objectif contraignant. Il n’y a donc pas de renoncement, mais une affirmation de la nécessité d’atteindre des objectifs ambitieux. Malheureusement, l’amélioration de l’efficacité énergétique industrielle s’est un peu ralentie pour deux raisons. D’abord, parce que depuis le début des années 2000, les industriels ont massivement procédé à de nombreuses améliorations. Celles qui restent à faire sont les moins faciles et les moins rentables. Nous atteignons donc une sorte de palier. Et bien sûr, parce que le contexte économique s’est dégradé et qu’il est donc plus difficile d’investir même si c’est pour faire à terme des économies.
L’Europe peut-elle être considérée comme un bon élève mondial ?
Sur le plan des comportements, la situation en Europe est plutôt en progrès. Entre 2000 et 2015 l’efficacité énergétique industrielle s’est améliorée de 14 % soit un rythme élevé d’environ 1,3 % par an. Mieux, en 2013, 41 % des économies d’énergie en Europe ont été réalisées par l’industrie contre 34 % dans le résidentiel, 22 % pour le transport et 3 % dans le tertiaire ce qui est très faible. Attention, tous les secteurs industriels ne sont pas homogènes. Par exemple, l’automobile et l’agroalimentaire sont plus en retard que la sidérurgie ou la métallurgie. Leur marge de progression est donc plus importante.
Comment ces progrès ont-ils été atteints dans les différents pays d’Europe ?
On retrouve un peu partout des outils classiques qui reposent sur des mesures contraignantes : règles sur l’éco-conception, dispositifs de certificats d’énergie, taxation du carbone... Dans certains pays de l’Est (Bulgarie, Roumanie…), des audits énergétiques sont parfois imposés aux industriels gros consommateurs d’énergie. Plus original, certains de nos voisins proposent des politiques collaboratives qui essayent de privilégier des dispositifs de coopération et non de sanction.
À quels pays pensez-vous ?
Il y a un exemple assez intéressant en Suède. Il s’agit d’un programme proposé aux industries énergivores. Si elles adhèrent, elles sont exemptées d’une taxe sur l’électricité. Dans le même esprit en Allemagne, en Irlande et en Suisse, les gouvernements ont mis en place des incitations visant à la mise en réseau d’entreprises afin de partager des bonnes pratiques. Cela permet à certaines petites entreprises d’accéder à des conseils d’experts qu’elles n’auraient pas pu se payer seules.
Quels sont les axes de progression pour les prochaines années ?
En France, l’ADEME estime que l’industrie peut encore améliorer son efficacité énergétique de près de 20 % d’ici à 2030. Ce chiffre monte même à 30 % pour l’agroalimentaire. Les mesures organisationnelles sont particulièrement efficaces au sein de l’Europe à travers la
norme ISO 50001 qui permet de guider les entreprises dans la mise en place de systèmes de management de l’énergie. Selon les derniers chiffres rendus publics, dans la métallurgie, seuls 14 % des établissements ont un outil de comptage et d’analyse, 23% dans le secteur agroalimentaire. C’est trop faible ! Aujourd’hui l’outillage existe, mais l’activisme diffère encore beaucoup trop en fonction des pays, des secteurs et des tailles d’entreprises. Pour que l’industrie européenne reste dans une dynamique d’efficacité énergétique, il faut s’inspirer des approches plus collaboratives menées par certains pays pionniers.
À propos de l’auteur
Christine Le Bihan-Graf est Avocate-associée du cabinet De Pardieu Brocas Maffei au sein duquel elle a fondé un département dédié à la régulation industrielle et au droit public économique. Elle est Membre du Conseil d’Etat depuis 1998 et a exercé plusieurs fonctions au sein de l’administration comme celle de Directeur général de la Commission de Régulation de l’Énergie (2008-2011).