ESCP Europe : l’industrie du futur sur les bancs de l’école

En mars 2016, l’ESCP Europe a ouvert une formation dédiée à l’Industrie du futur : EMMA (Executive Master en Manufacturing Automation & Digital Transformation). Développé en collaboration avec le groupe industriel italien Comau, ce nouveau programme forme les managers de demain aux technologies de l’industrie 4.0. Interview de Giovanni Scarso-borioli, Directeur scientifique de l’EMMA.

 

Automation, impression 3D, industrie 4.0… La transformation numérique du secteur industriel est-elle désormais enclenchée ?

Pour moi, l’industrie 4.0 est clairement un mot à la mode. Comme le Big Data il y a quelques années et TQM dans les années 90, etc. Cela dit, il ne faut pas pour autant considérer que ces termes à la mode ne sont que « du vent ». En effet, ils apparaissent quand beaucoup de professionnels s’intéressent à un sujet particulier, à une pratique ou à une technologie. Il faut donc s’y intéresser tout en ayant conscience que ces termes sont souvent portés par un marketing efficace des acteurs qui ont un intérêt direct à les propager. Dans le cas de l’industrie 4.0, de nombreuses ressources ont ainsi été investies par les grands industriels pour diffuser ce concept. C’est une des raisons pour laquelle nous avons créé l’EMMA. Nous voulions aider les dirigeants à distinguer les mythes de la réalité. Pour mettre en place des programmes d’innovation véritablement efficaces au sein de leur propre entreprise, ils doivent développer leur sens critique.

 

Les décideurs industriels semblent encore parfois rebutés par ces nouveaux concepts…

Au contraire, je pense qu’ils sont très intéressés ! Le problème n’est pas l’intérêt, mais plutôt l’absence de « boussole » pour comprendre et prioriser les opportunités réelles de ces nouvelles technologies pour leur entreprise. En outre, le niveau de familiarité des managers industriels avec les technologies numériques est très variable. Il subsiste une sorte de résistance inconsciente et émotionnelle qui est un vrai frein à l’action. C’est un autre point sur lequel l’EMMA doit faire la différence.

 

Plus généralement, quelles sont les raisons qui ont guidé l’ESCP dans la création de cette nouvelle formation ?

De nombreux acteurs ne savent pas encore quoi faire avec ces nouvelles technologies industrielles… Ce statu quo peut s’avérer dangereux : ces entreprises risquent d’être victimes de la trajectoire exponentielle des innovations de rupture. Les nouveaux entrants comme Tesla démontrent déjà que l’innovation peut progresser à grande vitesse. Ceux qui ne profitent pas des nouvelles technologies voient leur destin menacé. Notre programme est donc conçu comme un laboratoire collaboratif où des managers, des professeurs et des experts travaillent ensemble pour créer une image plus claire de l’industrie 4.0. Nous devons rédiger ensemble une feuille de route qui déterminera les opportunités offertes par ces technologies. C’est pourquoi nous unissons nos forces avec COMAU pour lancer ce programme de formation sans équivalent sur le marché.

 

Quels profils d’étudiants recherchez vous ?

Le recrutement est assez large : du cadre junior au cadre « intermédiaire » au sein des entreprises industrielles. La seule condition c’est de disposer d’un bon bagage technique. Notre formation s’adresse donc aussi bien à des gens qui travaillent dans les domaines de l’approvisionnement, de la conception, de la R&D, des produits, des process, etc. Nous souhaitons accompagner des personnes qui ont une forte passion pour l’innovation et qui ont l’ambition d’être des acteurs du changement. Une nouvelle génération de managers doit se mettre en mouvement. Nous voulons former les futurs leaders de l’industrie.

 

Quelles sont les modalités pratiques de cette formation ?

Elle se compose d’abord de 5 modules d’une semaine à temps plein chacun. S’ajoute ensuite un apprentissage à distance et un projet d’entreprise à effectuer entre les modules. L’ensemble couvre une période d’un an. Pour certains profils, nous proposons également de ne suivre que la première semaine de formation en tant qu’ “indépendant” (pour un montant de 5 000 euros par participant). Concernant le contenu, nous ne proposons pas seulement des cours théoriques. Les managers sont également confrontés à la réalité concrète de l’industrie 4.0 : cas pratiques, rencontres avec des professionnels… Pour ceux qui souhaiteraient en savoir davantage, toutes les informations sont disponibles sur le site web de la formation.

 

   |   Le conseil de Vertuoz Industri.e

L’importance du rôle de l’enseignement supérieur dans la transformation digitale de l’industrie

Chez Vertuoz Industri.e, nous distinguons deux façons pour l’enseignement supérieur d’aider la digitalisation de l’industrie :

  • Un rôle prospectif : les enseignants chercheurs apportent un éclairage sur les enjeux liés aux nouvelles technologies – Big Data, intelligence artificielle, impression 3D, réalité virtuelle, etc., et donnent des clés aux dirigeants pour se les approprier dans leur domaine d’activité.
  • Un rôle de massification de la transformation digitale à l’ensemble de l’organisation : par leur savoir faire, les enseignants créent des supports et médias innovants de type MOOCs, afin de répondre aux différents besoins de formation d’une entreprise (apprentissage de nouveaux métiers, reconversion des employés, etc.).

Blockchain : des opportunités à saisir pour l’industrie

Simple mot-clé à la mode ou véritable tendance à suivre ? Le terme « blockchain » reste encore assez trouble pour une grande partie des dirigeants du secteur industriel. Pour les aider, Paul Bonan (CEO de QWAM & CO) détaille – dans une interview – les enjeux de cette nouvelle méthode de traçabilité et de certification d’informations. Il revient également sur les opportunités concrètes que la blockchain offre aux industriels.

 

Il semble parfois exister autant de définitions de la blockchain que d’acteurs sur ce marché… Quelle serait la vôtre ?

En réduisant la définition à l’extrême, je dirais que la blockchain est une technologie de partage de l’information qui remplace le rôle des tiers de confiance autrefois incarnés par les banques ou les notaires. Dans l’univers industriel, je distinguerais plus précisément deux volets d’application : la sécurité et les contrats intelligents.

 

Commençons donc par la sécurité…

Grâce à la blockchain, vous disposez en temps réel d’un tiers de confiance ouvert et transparent. Vous n’avez plus besoin d’envoyer des courriers ou de demander l’obtention d’une certification. Via une simple application smartphone, je peux par exemple savoir précisément où le produit a été fabriqué et dans quelles conditions. Toutes ces informations de traçabilité sont disponibles en temps réel contrairement aux outils actuels. Ce volet sécurité de la blockchain va permettre d’inventer de nombreux nouveaux services et de faciliter la vie des industriels.

 

Qu’en est-il des contrats intelligents ? Que désigne cette appellation ?

Il s’agit d’un outil qui utilise les données de la blockchain pour littéralement « ouvrir » toute l’industrie. Du client jusqu’au fournisseur de matières premières, toute la chaîne de valeur peut être gérée intelligemment et en toute transparence grâce à ces nouveaux contrats. Prenons un exemple simple : vous allez dans un magasin, vous scannez votre pied et une paire de chaussures. Le contrat intelligent va enregistrer cette demande et la transformer en une commande qui sera envoyée à « l’usine du coin ». Celle-ci vous précisera si elle sait réaliser ce produit, et si oui, comment, avec quels matériaux, à quel prix et sous quel délai. L’intelligence est au cœur du process.

 

Est-ce que la blockchain peut également contribuer à améliorer les performances énergétiques de l’usine ?

Tout à fait. Deux exemples concrets me viennent à l’esprit. Le premier porte sur le volet certification dans le contexte des Contrats de Performance Energétique (CPE) incluant le financement de nouveaux équipements avec rémunération sur les économies associées. Ce type de financement est un levier très fort pour l’efficacité énergétique en industrie. Cela dit, il est parfois difficile de mesurer précisément les économies réalisées. Recourir à un tiers de confiance compétent et bien outillé pour les quantifier (monitoring temps réel) et les certifier (blockchain) peut alors s’avérer utile.

Prenons un second exemple qui concerne la gestion intégrée et automatisée d’une chaîne d’acteurs via le contrat intelligent ou smart contrat. Un industriel peut ainsi dématérialiser le processus de maintenance de ses équipements pour gagner en agilité et coûts. Une machine ayant besoin d’une intervention technique gère toute seule en ligne le cycle complet de consultation des prestataires jusqu’à la facturation en passant par le choix du prestataire, la commande et la réception des travaux en toute transparence et traçabilité.

 

Quelle est la maturité des industriels français sur ces sujets ?

Aujourd’hui, nous n’en sommes qu’à la première étape : la traçabilité. La dimension « intelligence artificielle » n’est pas encore une réalité. Le contexte est compliqué pour les décideurs industriels car beaucoup d’usines françaises sont en fin de vie. Les dirigeants doivent renouveler leurs machines, mais il y a tellement de nouvelles technologies sur le marché qu’ils ne savent pas vraiment sur laquelle miser. Cela dit, l’intérêt de la blockchain c’est qu’elle peut être vue comme une solution simplificatrice puisqu’elle rassemble toutes les technologies sous-jacentes (robotique, mesure…).

 

Pour terminer, quel conseil donneriez-vous à un industriel qui souhaiterait s’informer à ces sujets ?

De se rapprocher de l’association France Blocktech. Cette structure organise des sessions de sensibilisation très bien conçues. Cela permet aux participants de bien comprendre les impacts de la blockchain sur le secteur industriel à travers des exemples très concrets.

 

A propos de Paul Bonan (CEO de QWAM & CO)

Fondateur de la société de conseil QWAM & CO, Paul Bonan exerce en tant que consultant auprès de grandes entreprises industrielles françaises (agro-alimentaire, énergie…). Sa structure intervient notamment sur trois spécialités : conseils énergétiques, gestion des déchets carbonés et blockchain-industrie 4.0.