Les collectivités, petites et grandes, se sont emparées du concept de smart city, dans l’objectif de développer leur attractivité et de limiter leur empreinte carbone. Ce concept est encore parfois flou, même si les collectivités l’associent au développement de nouveaux services performants dans les domaines de l’énergie et des déchets, des transports et des déplacements, ou de l’éclairage public. Mais rarement, le bâtiment est présent dans l’évolution vers la smart city alors qu’il en est le cœur, comme l’affirme Emmanuel François, président de la Smart Building Alliance (SBA).
Quand on évoque le bâtiment intelligent, de quoi parle-t-on ? « Revenons à l’étymologie du mot « intelligent », suggère Emmanuel François. Le préfixe « inter- » signifie « ensemble » et le radical « -legere » pourrait se traduire par « réunir » : réunir ensemble ! L’image est juste. Communicant et connecté, le bâtiment intelligent « réunit ensemble » l’humain et son environnement, le citoyen et la ville. » En quelques années, le bâtiment est passé d’édifice isolé, équipé d’automatismes liés à des fonctionnalités comme le chauffage ou l’éclairage, au bâtiment cognitif, capable de s’adapter à son usager et interconnecté aux autres bâtiments, grâce, notamment, à « l’intelligence » artificielle. « Pourtant, le bâtiment reste trop souvent exclu des démarches smart city, contrairement à la mobilité par exemple, regrette Emmanuel François. Cela s’explique : les voies appartiennent à la ville, pas les bâtiments, qui sont pour la plupart des propriétés privées. »
Le bâtiment au cœur des problématiques énergétiques urbaines
Et pourtant ! Le bâtiment intelligent a tellement à offrir à la ville de demain. Parmi les défis qu’auront à relever les smart cities, l’enjeu énergétique est en première ligne et cet enjeu est intimement lié aux bâtiments. Les villes sont responsables de 70 % des émissions de gaz à effet de serre et 45 % des dépenses énergétiques sont dues aux bâtiments, le résidentiel en particulier.
« Sans action sur l’immobilier, les villes auront perdu leur bataille contre le réchauffement climatique, martèle Emmanuel François. L’énergie va motiver le déploiement du numérique dans le bâtiment et la ville, en particulier pour assurer un pilotage fin des consommations énergétiques au plus près des usages. »
Le bâtiment régulateur des pics électriques dans les villes
Autre enjeu incontournable de la ville de demain : la mobilité électrique. Dès 2025, 3,3 millions de véhicules électriques devraient circuler sur les routes françaises, selon la CRE. À raison de 100 kW par véhicule, les besoins en électricité seront colossaux : 330 gigawatts ! L’équivalent de la production d’une centaine de tranches nucléaires si tous les véhicules électriques se rechargeaient en même temps. « Pour équilibrer les consommations électriques, les bâtiments devront être équipés de pilotage intelligent, qui gère les usages, entre le fonctionnement du lave-linge et la recharge du véhicule, en toute connaissance de cause, conseille Emmanuel François. Les interconnexions entre le bâtiment et les véhicules électriques permettront de lisser les pics d’énergie. Bientôt, les immeubles seront à énergie positive. Ils deviendront des centrales productrices d’énergie renouvelable tandis que les batteries des véhicules serviront au stockage. Là encore un pilotage sera nécessaire, entre la production et le stockage et entre le stockage et la consommation d’électricité. » Un projet européen, ELSA, a déjà parié sur l’utilisation d’anciennes batteries de véhicules électriques pour servir au stockage d’électricité renouvelable dans six bâtiments pilotes. Outre le déploiement prévu d’une unité de stockage dans le tertiaire ou le résidentiel, le projet teste le pilotage des flux d’énergie entre les différentes infrastructures.
Le bâtiment pour rapprocher l’occupant de ses usages dans la smart-city
En 120 ans, depuis le début du 20è siècle, la population mondiale est passée de moins de 2 milliards d’habitants à près de 8 milliards. « Dans le même temps, le bâtiment n’a quasiment pas évolué, note Emmanuel François. Or, parce qu’il est mono-usage – logement, bureaux, éducation, commerce, santé… -, le bâtiment est largement sous-utilisé. » Si les espaces dans les bâtiments variaient en effet leurs usages au fil des journées (par exemple, 6h en salle de cours, puis 2h pour la restauration, ensuite 4h pour un temps de cinéma, enfin 12h pour le logement), la ville serait plus durable. « Imaginez : nous aurions besoin de moins d’espace foncier, de moins de matériaux pour construire, de moins d’énergie pour chauffer ou pour se déplacer ! » Et grâce aux plateformes d’optimisation des espaces, les citoyens seraient informés sur les espaces à leur disposition pour travailler (flex-office), pour se loger (flex-living) ou encore pour acheter. Le commerce éphémère de proximité dans les immeubles en ville permettrait de rééquilibrer l’espace urbain. Fini les boutiques de luxe en centre-ville et les supermarchés en périphérie. Grâce aux nouvelles technologies, les habitants seraient informés d’une vente de produits proche d’eux, afin de rationaliser leurs déplacements. Tout le monde serait gagnant !
« Une autre vision de la ville est donc possible. Une ville qui réunit, plus durable, au service de ses habitants, conclut Emmanuel François, mais à une condition : les bâtiments intelligents devront être modulaires, interconnectés à leur quartier et adaptés aux nouveaux usages. Notre planète atteint ses limites. Il va donc falloir transformer nos villes à 180 °. Les bâtiments intelligents vont nous y aider. Le numérique est, dans cette perspective, une réelle opportunité dont il faut se servir ! »